Making of Hiva Oa
Par Pierre
Quand on dit "making of", c'est pour dire "fait de". Hé bien voilà de quoi était fait mon dernier tournage à Hiva Oa, île principale du groupe sud de l'archipel des Marquises. Vous y verrez des éléments qui ne seront pas forcément dans le film...
Sur le panneau de l'aéroport, le ton est donné. Vous êtes ici sur l'île où repose Jacques Brel.
La petite histoire dit qu'il s'était d'abord intéressé à Nuku Hiva, île principale des Marquises (l'archipel compte 12 îles au total, dont 6 habitées). Mais qu'un jour, allant retirer un colis à la poste de Hiva Oa, le postier lui réclama une pièce d'identité. D'abord surpris, il lui fit remarquer son étonnement de ne pas être reconnu.
-"Mais, vous ne me reconnaissez pas ? Je suis jacques Brel !"
L'employé des postes ne se démonta pas, et lui répéta : " Monsieur, si vous voulez votre colis, il me faut une pièce d'identité."
Et là Jacques Brel prit conscience, qu'enfin, il avait trouvé un endroit dans le monde où il serait traité à la même enseigne que n'importe qui. Il décida de s' installer sur Hiva Oa, et plus tard, d'y être enterré.
Hasard ou pas, un autre grand artiste repose pour l'éternité sur la même île : Paul Gauguin.
Les premières images sont : la mer... Un peu logique pour une île. Et puis il faut bien commencer.
J'ai dix jours pour tourner assez pour réaliser un documentaire de 26 mn qui se tienne.
C'est mon petit "Koh-Lanta" à moi.
Heureusement, je ne suis pas seul. Je suis toujours accompagné de Raimana, mon fidèle ingénieur du son, et cette fois-ci, Wayne étant parti en métropole, c'est Landry, un tahitien aussi gentil qu'il est costaud (il doit faire 1m90 pour au moins 110 kilos... C'est vous dire s'il est gentil), qui sera mon assistant et mon deuxième caméraman. cette fois-ci, j'ai décidé d'innover. Je vais doubler les séquences les plus importantes avec une deuxième caméra, la mienne. L'avenir me dira que j'ai bien fait...
Les vagues sont fortes...
... très fortes...
Tant et si bien que la caméra est arrosée. Retour en urgence à la pension pour nettoyer et sécher tout ça... Merci Landry...
La première escapade au village nous rapelle l'impact de Brel sur cette île. Mais les habitants de Hiva Oa voudraient sortir un peu de cette image.
"Il n'y a pas que Brel, il n'y a pas que Gauguin !" disent-ils... Et ils ont raison !!
Hiva Oa recèle aussi de petites merveilles dans ses reliefs, ses vallées et surtout dans le coeur de ses habitants...
Ah, la religion européenne... Ici aussi, elle a fait son passage. D'ailleurs, un couvent de bonnes soeurs s'est installé à Hiva Oa, voici deux cent ans, assurant l'éducation de centaines de jeunes filles. Le collège Sainte-Anne existe toujours, et durant bien des années, il a aussi permis à nombre de jeunes filles de partir voir le monde, et ainsi de mettre un frein aux problèmes de consanguinité.
"La pluie est traversière" sur Hiva Oa, comme le dit Brel dans sa chanson "Les Marquises".
C'est donc l'occasion d'aller filmer à l'abri les reproductions de Gauguin au centre culturel qui lui est destiné.
Dans la même enceinte, un hangar exposant "Jojo" l'avion de Brel. Jojo servait à acheminer les malades et les blessés à Nuku Hiva où on pouvait mieux les soigner. Il servait aussi pour le courrier. C'était une façon pour le "grand Jacques" de remercier les habitants de leur accueil si chaleureux.
Profitez en bien, les photos suivantes sont rares. C'est Georges, le responsable de la pension où j'habitais, qui me les a données. Spéciale dédicace à Jacques..., et à Georges.
Ci-dessous, l'Askoy, le bateau de Jacques Brel.
Mais revenons à nos moutons... d'écume. Je continue à filmer l'eau, mais là c'est plus dans la matière... Un gros plan sur l'eau, ça donne quelquefois de jolis effets...
Le lendemain, nous partons en virée avec Humu, le gendre de Georges. Un marquisien typique... et atypique !
Premier Jour de tournage avec Humu, natif de Atuona, capitale de Hiva Oa.
Il nous montre la "Baie des traîtres".
Uniquement appelée comme cela car les navigateurs qui s'y engouffraient facilement, poussés par les vents dominants (et attirés par des femmes aux seins nus qui cherchaient à renouveler leur sang, ou peut-être tout simplement l'"ailleurs") avaient bien du mal à repartir à la rame lorsque les hommes les chassaient à coup de cailloux. Du coup, la baie a été surnommée, la "baie traître", ce qui est devenu "la baie des traîtres".
Rencontre avec un cheval. A moitié sauvage. Humu, qui monte depuis qu'il sait marcher, tente une approche...
Ci-dessous, c'est un "Tohua", lieu communautaire où les habitants assistaient aux rites. Des rites qui pouvaient être des sacrifices humains...
Là, un badamier de trois cent ans d'âge. Il doit faire dans les 50 mètres. Le plus grand arbre des Marquises.
On ne dirait pas mais ces racines font la hauteur d'un homme.
A la suite, un autre site sacré. Lipona.
Cette statue (on appelle cela un Tiki, mais vous le savez déjà si vous êtes habitués au blog), est le plus grand Tiki des Marquises. Il s'appelle Takahii. On peut trouver des similitudes avec les Moaï de l'île de Pâques. D'ailleurs les anciens pascuans disent que les premiers habitants de l'île de Pâques venaient d'un continent qui s'appelait "Hiva".
Tout ceci est très bien expliqué dans ce documentaire de National Geographic, dans lequel Humu tient un des rôles principaux. Cliquez sur le titre et vous pourrez le voir si vous voulez : Mu, le continent perdu
Pour la petite histoire (encore ? hé bien oui...) Hiva Oa veut dire "La poutre maîtresse". En fait une légende raconte ceci :
« C’était lors de la nuit initiale.
Oatea vivait avec sa femme Atanua
Ils n’avaient pas de maison.
Un jour, Atanua dit à son époux Oatea :
Quelle est cette façon de vivre sans maison ?
Éclairé par les forces divines sur ce qu’il devait faire,
il fut satisfait, et le soir même, le mari dit à sa femme :
Cette nuit je bâtirai notre maison.
La nuit s’apprêtant à descendre Oatea se dressa
et invoqua ses forces de la manière suivante :
Racines-longues..
Racines-nombril...
Racines-courtes...
Racines-travail..
Racines-énormes...
Racines-minuscules...
Dressez la maison!
L’invocation terminée,
Oatea choisit l’emplacement de la maison.
Puis, ayant dressé deux piliers, il dit alors : C’est Ua Pou ! (c'est le nom d'une île des Marquises. ndlr)
Puis, Oatea ayant pris la poutre faitière,
il la posa sur les deux piliers attachés avec la corde en fibre de coco.
Il dit alors : C’est Hiva Oa !
Ensuite, il fixa les potelets de façade,
la traverse de l’auvent,
les poteaux de soutien
et la poutre inférieure.
Oatea fixa ensuite les chevrons à l’avant,
à partir de la poutre faitière jusqu’à la longue traverse,
puis à l’arrière jusqu’à la dalle de pierres.
Il dit alors : C’est Nuku Hiva ! (c'est le nom d'une autre île des Marquises. ndlr)
Avec quoi couvrir la maison ?
Avec des palmes de cocotiers.
La couverture fut réalisée selon la technique des 9 parts.
Il dit alors : C’est Fatuiva ! (c'est le nom d' encore encore une autre île des Marquises. ndlr)
Oatea a creusé un trou pour parfaire son travail,
bien que l’aube soit très proche.
La voix de Atanua a crié :
L’image lumineuse scintille.
Il dit alors : C’est Tahuata ! (c'est le nom d' encore encore encore une autre île des Marquises. ndlr)
Elle ajouta : le chant de l’oiseau du matin se fait entendre.
Il dit alors : C’est Mohotani ! (Etc .ndlr)
Oatea travaillait toujours, il ne s’arrêtait pas.
Je ramasserai les débris et les mettrai dans le trou.
Il dit alors : C’est Ua Huka ! ( encore etc .ndlr)
Atanua s’est alors écriée :
Attention! Attention !
S’illumine, s’illumine la terre des Hommes.
Il dit alors : C’est Eiao ! ... » (der de der.ndlr).
Là vous savez tout !! Pour une personne comme moi, qui s'intéresse beaucoup à la magie, je suis tombé là où il fallait. En fait, la magie me semble être le fondement de la culture polynésienne... La pensée magique.... La "pensée sauvage", comme le dirait Mr Claude Levi-Strauss.
Minute de silence pour ces pensées si profondes.... Ouch, ça me fait mal à la tête !!
Reprenons :
Au fond, non ce n'est pas Nessie (spéciale dédicace à Pat), mais Hiva Huka, une île habitée par quelques moutons, chevaux et cochons sauvages, où vont chasser de temps en temps les habitants de Hiva Oa.
Menava, un groupe de musique que nous avons rencontré, et filmé. Malheureusement des contingences de production m'interdiront d'utiliser leur musique dans mon film. Merci quand même à eux.
Pour écouter ce que ça donne cliquez sur la photo du groupe... C'est pas mal, vous verrez...
Poo Nica... Cela veut dire "Tête noire". C'est comme cela que les marquisiens ont surnommée cette excroissance rocheuse...
Là, Humu s'essaye à la caméra... Avec les lunettes noires, il ne doit pas y voir grand-chose !! :)
Et après, rebelote, il faut quand même un peu travailler...
Nous arrivons dans la vallée de Hanatekuua. Une des seules baie au sable blanc de Hiva Oa.
Ici vit la grand-tante de Humu. Il faut deux heures de marche pour y arriver. Pas de réseau, pas d'électricité et l'eau douce vient de la montagne... Une activité : la culture du Coprah.
Le coprah, comme vous le savez déjà, c'est la noix de coco dépiautée et séchée, vendue à la fabrique de Monoi de Tahiti à un prix subventionné. Une des seules ressources financières possibles à cet endroit-là...
... Tout marquisien qui se respecte doit savoir grimper le cocotier pour aller chercher de quoi boire ou de quoi manger... Le cocotier est un arbre extraordinaire qui fournit tout ça.... et même plus !! En battant son ecorce, on peut faire du tissu pour s'habiller, et son tronc et ses palmes peuvent fournir de quoi faire un abri... Que demander de plus ?
Nous rencontrerons Vehine, qui ramasse le coprah tous les jours depuis qu'elle a 14 ans. Elle en a 60 aujourd'hui, et continue...
Photo souvenir avec Vehine et sa famille.
Retour à Hiva oa. C'est Dimanche, et comme tous les dimanches, Humu va "dégraisser" Toovii, son fidèle destrier.... A cru !!... pendant que tout le reste du village est à la messe. On peut dire que le cheval, c'est sa religion !!
Teapua, un copain, est venu se joindre à nous.
Pour mieux faire ressentir la cavalcade au téléspectateur, j'ai installé sur Humu une caméra (une gopro pour les connaisseurs), avec les moyens du bord.... A la locale, quoi...
Cliquez ICI pour vivre la course
Après la course, quelques caresses... Toovii n'a pas démérité...
Et une bonne douche à l'eau douce...
Doucement, la marée monte, et cela offre un terrain de jeu à tous les enfants d'Hiva Oa, qui viennent surfer.
Le lendemain, un évènement atypique... En effet, la nouvelle sous-préfète prends ses fonctions. A cette occasion, elle fait le tour des îles des Marquises pour des cérémonies RRépublicaines. Histoire de bien rappeler que : "Hé ho, c'est quand même la France, ici !!" N'y voyez aucune conviction de ma part...
Dépose d'une gerbe au Monument aux morts.... Pour la France..... Tataaa...
Entre le Préfet (ici on dit le "haut-commissaire" ou encore "Haussaire") et la sous-préfète, le maire de Hiva oa, un mec sympa !! On l'a rencontré. C'est un sacré malin, qui défend bien les intérêts de son île, et même ceux des Marquises. Respect...
Je n'ai pas pu m'empêcher de filmer...
Cliquez ICI pour suivre le défilé, et surtout entendre leur chanson, écrite par le chanteur marquisien Rataro. Je ne suis pas fan des chants militaires, mais je vous assure que ça vaut le coup...
Bon, cela ne sera pas dans le film non plus. Mais c'est une spéciale dédicace à toutes ces années, passées au service com de la mairie de Toulouse, où je filmais souvent ce genre de choses... Il faut croire que cela me poursuit...
Changement de décor. Nous sommes chez la grand-mère de Humu, Mama'u (grand-mère) Tahiatini. Cette dame de 88 ans a tenu un restaurant durant toute sa vie, dont la bonne marche était assurée par tous les touristes admirateurs de Jacques Brel ou Paul Gauguin. Aujourd'hui, elle est à la retraite, mais elle détient la mémoire de l'île. Je décide de mettre en scène(ce qui n'est pas mon genre normalement) une séquence où Poe, sa petite fille et soeur de Humu, vient la filmer. En effet, la culture se transmet ici de manière orale, et même, je dirais, plutôt de manière corporelle : "regarde et fais".
Poe, qui assure la transmission aux plus jeunes, vient se ressourcer régulièrement auprès de sa grand-mère Tahiatini. Elle prend des notes et projette de la filmer.
Grand-mère nous explique que c'est elle qui transmet, à sa famille seulement, pour être sûre que rien ne soit dénaturé. "C'est la famille qui porte !" dit-elle.
C'est elle qui transmet les chansons et les danses, mais il arrive que les enfants ou petits-enfants reçoivent les chansons par voie médiumnique. C'est un appel, des aïeux décédés, qui leur intime l'ordre de monter au vieux cimetière, et de recevoir les chants... cela arrive de temps en temps.
Nous sommes montés au vieux cimetière, mais n'avons pas reçu de chanson. Normal, nous ne sommes pas de la famille. Mais nous avons reçu autre chose...
Un beau moment de sérénité...
Nous reprenons la route avec Landry...
Et Raimana, qui en a marre que je lui dise que sa perche est dans mon cadre...
Pour aller voir Charles, qui va nous interpréter "Les Marquises" de Brel, à sa façon...
Cliquez sur la photo si vous voulez écouter Charles.
La tonalité de la guitare était trop grave, alors on l'a "montée", à la locale... Pour ceux qui ne connaissent pas, il s'agit d'un capo d'astre, un objet qui permet, en le coinçant sur le manche de la guitare, d'augmenter la tonalité générale de l'instrument. Seulement, celui-là constituait un mystère pour nous tous. Alors, nous l'avons coincé à l'aide d'un "chouchou". Vous savez, cet ustensile typiquement féminin, qui sert à faire des couettes...
C'est typiquement le bricolage polynésien, au sens noble du terme.
Avec les moyens du bord, on fait tout !!
Charles, non seulement excellent musicien, est un sacré peintre. Il a des commandes du monde entier.
Retour à la réalité !! Il faut le finir ce film !! Nous revenons dans la baie de Hanaiapa, là où on peut voir la tête de Poo Nica.
Aujourd'hui, il est question d'aller pêcher la pieuvre, ... à la locale ! C'est à dire avec un hameçon spécial, taillé dans les branches d'un arbre endémique.
Vous remarquerez la précaution que j'ai prise pour ne pas perdre mes sandales dans l'eau...
J'accompagne donc notre ami Humu, avec une petite caméra étanche, pour filmer sa séance de chasse traditionnelle sous-marine. Merci de ne relever ni les bourrelets, ni la calvitie...
Porca miseria !!
Au moins, une des bonnes choses de mon passage en Polynésie, aura été d'apprendre à m'accepter... tel que je suis !!
Ma caméra se sent seule d'un coup...
... Bloub !
La pêche ne donnera rien...
Le lendemain (ou quelque chose comme ça), Humu nous amène à la rencontre d'une autre de ces petites merveilles présentes sur Hiva Oa, dont je parlais en début d'article. Un Tiki "souriant" !!
Dans une vallée, dont j'ai oublié le nom, mais on s'en fout... pardon d'une telle familiarité... se trouve, érigé tel un matin des plus glorieux, un Tiki, qui à l'air de sourire !!
Notre ami Humu, fervent défenseur de sa culture, nous montre comment, toujours avec "les moyens du bord", relever des pétroglyphes (désolé, c'est comme ça que ça s'appelle), c'est à dire des symbôles gravés dans la pierre.
Tout simplement, à l'aide d'une feuille A3, et d'une feuille (ce coup-ci dans le sens littéral : excroissance d'une branche), il arrive à relever l'empreinte de la gravure...
On l'appelle le "Tiki souriant", car "il" a l'air de sourire... mais d'après Humu, ce n'est pas si simple...
Si on regarde de plus près, on remarque que les lèvres sont décorées de symboles, ainsi que le dessous des oreilles, et les mains. Cela correspond tout à fait aux décorations dont on affublait les guérisseuses. Pour Humu, il s'agit de la représentation d'une guérisseuse de l'ancien temps.
J'ai l'intuition que c'est la bonne interprétation, et que ce Tiki a encore une action thérapeutique... Mais ça, c'est personnel. En tout cas, si vous allez à Hiva Oa, demandez à rencontrer le Tiki "souriant"... Cela ne pourra pas vous faire de mal...
Fin du séjour Hiva Oesque. Retour au restaurant de Mama'u Tahiatini.
On s'est lâché !
Oui, ce sont des langoustes !! Landry et Raimana sont aussi contents que moi !!
Ensuite quelques menus plats...
Et pour finir, photo avec un trésor national vivant !!
Tout ceci, a été écrit le dimanche de Pâques.
Mais si Christiane n'est pas là, il n'y a pas de raison de ne pas en profiter pour ouvrir la bouteille de champagne qui restait au frigo (cadeau d'une amie à qui nous avions prêté la maison)...
Et déguster les chocolats que Sam a bien voulu partager.
Eééééééééh Ouais !!
Joyeuses Pâques à tous et à bientôt !!